CRITIQUE | FILM

EMMANUELLE : le home staging au cinéma

Critique | Véritable raz-de-marée à la fois littéraire et cinématographique, Emmanuelle est sans nul doute l'œuvre érotique la plus populaire. Une vision du désir revisitée 50 ans plus tard par la réalisatrice Audrey Diwan, bien décidée à dépoussiérer le mythe. À moins qu'elle ne se contente de déplacer la poussière.

SYNOPSIS

Emmanuelle est à la recherche d’un plaisir enfoui, une sensation intime qu’elle semble avoir perdue avec le temps. C’est dans l’espoir de renouer avec cette part manquante d’elle-même qu’elle décide de partir seule pour Hong Kong, sous couvert d’un déplacement professionnel. Cette métropole cosmopolite, où se mêlent modernité et traditions, l’enveloppe de son atmosphère sensuelle et vibrante. Au fil de son séjour, Emmanuelle se laisse entraîner dans une série de nouvelles expériences, explorant des plaisirs inconnus et des sensations inattendues.

© Emmanuelle

C’est alors qu’elle croise le chemin de Kei, un homme aussi mystérieux qu’insaisissable. Fascinée par lui, elle se lance dans un jeu de séduction où le désir semble constamment lui échapper, éveillant en elle des émotions profondes et contradictoires.

NOTRE CRITIQUE

Le roman autobiographique, écrit par Emmanuelle Arsan en 1959, a connu un véritable succès malgré les nombreuses censures. Une vision novatrice du désir féminin, qui raconte les aventures tumultueuses de son personnage, parti à Hong Kong avec son mari pour assouvir tous leurs fantasmes. Une réussite qui aboutira à une première adaptation cinématographique en 1974, que les années post-mai 68 transformeront en un « softcore » aux propos douteux. Cela ne l’empêchera pas de rassembler plus de 50 millions de personnes dans les salles de cinéma. Un carton qui méritait bien une relecture plus moderne 50 ans plus tard.

Audrey Diwan à la barre et Noémie Merlant dans le rôle-titre. Cette nouvelle version se tourne davantage vers le minimalisme et prend à contre-pied l’idée même de l’érotisme. En ce qui concerne la forme, le projet avait de quoi intriguer, et l’idée était même plutôt prometteuse. Il est indéniable que la vision du désir féminin n’est pas la même qu’elle l’était il y a plus d’un demi-siècle. Il en finit de la femme aimante, suivant son mari en voyage d’affaires et dans ses désirs. Ici, il est question d’une Emmanuelle indépendante, exerçant avec une main de fer dans le domaine des hôtels de luxe. Elle n’est plus simplement la femme d’un diplomate, elle est LA femme d’affaires qu’on envoie pour faire régner l’ordre. Une modernité bienvenue, qui s’inscrit également dans l’enjeu global. Ce n’est plus une question de quête de désirs, mais plutôt de reconquête. Et Audrey Diwan ne manque pas d’idées pour explorer tout cela. En plaçant son personnage acharné du travail dans ce milieu bling-bling, elle établit un lien fascinant entre luxe et luxure. Un endroit où règne l’ordre et la bienséance, où l’héroïne excelle en recherchant précisément tout l’opposé. Un cadre qui oriente la première partie du long-métrage vers un quasi huis-clos, créant ainsi une atmosphère de fermeté et d’austérité, régie par des règles qui ne semblent exister que pour être enfreintes. Une parenthèse où tous les fantasmes peuvent être réalisés par un simple abandon, sans subir de conséquences. Une prison pour notre personnage, qui doit assurer le respect de ces conventions. La contradiction entre ses actions et ses désirs se retrouve également dans le traitement de l’érotisme.

© Emmanuelle

Si vous espérez de cette Emmanuelle 2.0 une succession de séquences torrides, vous risquez d’être déçu. Il n’en est rien, et cela est tout à fait cohérent par rapport à tout le background précédemment détaillé. Encore une fois, cette version traite de la reconquête de désirs. Un objectif qu’Audrey Diwan tente d’atteindre à travers la mise en scène d’une sexualité indirecte, où elle cherche à établir une tension sexuelle. Dans sa rédaction, cette nouvelle version ne manque donc pas d’idées et de créativité pour essayer de la rendre plus moderne. Cependant, la réalisatrice ne parvient pas à atteindre le savoir-faire nécessaire à sa mise en œuvre. La tension sexuelle recherchée, qui forme l’atmosphère globale du film, ne parvient jamais à s’installer. Cela découle d’une vision très vieillotte de la représentation de la sensualité et du désir à l’écran. Pendant près de deux heures de film, on assiste à des démarches ralenties et chaloupées, où une traversée de pièce semble infinie. À des conversations alambiquées, convaincue que les chuchotements et les syllabes appuyées ont encore des effets aphrodisiaques. Des plans serrés interminables, dans l’espoir de faire monter la température, ou, au contraire, des plans très éloignés pour créer le mystère. En fin de compte, de manière contradictoire, cette aspiration à la modernité se traduit par une mise en scène complètement démodée. Nous avions l’espoir que la suggestion soit axée sur une photographie inspirée, une musique sulfureuse et des dialogues poétiques. Mais là encore, il en résulte une image sans prise de risque, une bande originale oubliable, et des échanges creux et sans saveurs. D’autant qu’ils sont délivrés par des comédiens peu impliqués, à l’exception de Noémie Merlant qui est absolument superbe dans le rôle.

Un film sur le désir qui ne parvient jamais à le refléter, se détachant ainsi de son sujet, nous ennuyant profondément et mettant en cause l’utilité même de ce projet. En définitive, ce n’est pas encore cette fois-ci que le roman d’Emmanuelle Arsan sera adapté de manière qualitative, à la mesure de son succès. On se donne rendez-vous dans 50 ans pour la version 3.0.

EN DEUX MOTS

Audrey Diwan se saisit du mythe pour essayer d’en faire une figure féministe et moderne, en utilisant des idées contextuelles intelligentes et pertinentes. Toutefois, cette relecture repose sur une mise en scène ringarde et des dialogues boursouflés qui empêchent l’évocation de son thème principal : le désir.

2

Note : 2 sur 5.


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