CRITIQUE | FILM

BABYGIRL : désir qui manque d’entrain

Critique | Voilà le flambeau passé. Après Demi Moore dans The substance, c'est à Nicole Kidman de perturber les normes sociales et de redéfinir les représentations des femmes sur grand écran, remportant au passage le prix de la meilleure actrice à la Mostra de Venise. L'un des longs-métrages les plus attendus de ce début d'année, Babygirl est pourtant moins impactant que prévu.

SYNOPSIS


Romy, à la tête d’une grande entreprise, semble avoir une vie parfaite : un mari attentionné, deux filles comblées et une carrière florissante. Pourtant, sa rencontre avec un jeune stagiaire au sein de sa société new-yorkaise bouleverse tout. Attirée par lui, elle s’engage dans une relation passionnée, prête à mettre en péril tout ce qu’elle a construit pour explorer ses désirs les plus secrets…

© Babygirl

Babygirl est un film américain réalisé par Halina Reijn, sorti en 2024. Présenté en compétition lors de la Mostra de Venise 2024, il vaut à Nicole Kidman la prestigieuse Coupe Volpi de la meilleure actrice.

NOTRE CRITIQUE

On pensait les 50 nuances de Grey et autres 365 Dni passés de mode, et bien, il semblerait que non. Encore que ! L’intérêt de Babygirl, réalisé par Halina Reijn, réside dans sa volonté de bouleverser les normes du genre établies par ses prédécesseurs. Sous ce scénario qui aurait pu faire trembler toute la sphère MeToo, se cache en réalité une narration beaucoup plus élaborée et surtout bien plus féministe. Romy, une quinqua ambitieuse et entreprenante, a réussi à se faire une place dans le monde professionnel et a montré de l’autorité pour y parvenir.

La réalisatrice fait preuve d’une grande habileté pour établir ce cadre sans le pousser avec insistance. En plaçant son personnage dans une entreprise qui se consacre aux nouvelles technologies, par exemple. Cette femme d’âge mûr, ayant grandi dans une époque différente, parvient à s’intégrer dans cette nouvelle génération. Ou encore en faisant d’elle une accro au botox, montrant ainsi qu’elle est prête à tout pour être ce que l’on attend d’elle, afin de mieux dompter cette époque. Un mode de vie, qui repose sur l’adaptation, en contradiction avec celui de sa fille, qui essaie de faire accepter ses choix sans se conformer. Cela conduit d’ailleurs à des échanges mère/fille d’une douceur et d’une efficacité admirable. Pourtant, derrière cette main de fer irréprochable que Romy semble maîtriser, se dissimule en réalité un secret inavoué. Dans le domaine de sa sexualité, elle aspire à la soumission. Un fantasme qu’elle ne peut avouer, par crainte de détruire tous ses efforts. Comment faire en sorte que cette pratique soit acceptée sans perdre en crédibilité ? Comment faire comprendre la distinction entre la vie privée et la vie professionnelle ? C’est sur ce point qu’Halina Reijn se penche, cherchant à perturber les mentalités, encore trop étriquées pour certains, sur l’existence de cette passerelle désir et consentement. Encore une fois, elle parvient à le faire avec beaucoup d’habileté, en particulier grâce à la mise en scène. En premier lieu, certains plans sont absolument splendides. Toutefois, c’est à la construction de son cadre que tout se joue. Toujours étriquée quand il s’agit de la cheffe d’entreprise, la caméra ne se concentre que sur elle, la plongeant dans un espace clos où elle semble suffoquée, coupée de toute vie extérieure. Dès que ses fantasmes se révèlent, la caméra libère l’espace, et subitement, la foule réapparaît. Un renouveau qui passe par l’acceptation. C’est également le cas pour la photographie. D’abord grisâtres, apportant une froideur quasi-mortuaire sur les corps qu’elle filme, les séquences se réchauffent au fur et à mesure que les fantasmes prennent vie. Accompagné par une musique signée Cristobal Tapia de Veer, qui apporte une ambiance aussi sulfureuse qu’énigmatique, imposant une tension permanente.

© Babygirl

La réalisatrice est aussi en quête de réalisme, surtout dans sa manière de filmer les moments intimes. Il en est fini des séquences clichées où deux êtres se rencontrent dans un bar, s’échangent un regard, et que l’on retrouve ensuite, en l’espace d’un cut, faire l’amour sauvagement. Toujours dans le but de redéfinir, Halina Reijn se focalise sur l’avant. Ces instants maladroits où l’on est toujours indécis sur ce qu’il faut dire où faire pour entamer les hostilités. Ces moments qui nous ont tous fait endurer, un jour ou l’autre, de longues minutes inconfortables, ne sachant pas quoi faire de nos mains et de nos corps, perturbant même le plus téméraire. Une façon astucieuse de montrer que la soumission n’a pas de camp dans la vraie vie, et que le fantasme n’est finalement qu’un rôle qu’il faut prendre et comprendre comme tel. À aucun moment, il n’établit une réalité qui nous définit. Tout un traitement que le duo d’acteurs tient à la perfection. Particulièrement Nicole Kidman qui livre une prestation saisissante et envoûtante, prouvant qu’elle est encore l’une des plus grandes actrices encore en activité et que son prix était bel et bien mérité. Un film qui regorge donc d’idées scénaristiques et techniques, mais qui malheureusement atteint ses limites bien trop rapidement. Une fois que le cadre narratif est établi (un peu trop abruptement par ailleurs), le film se lance dans un cercle interminable où les enjeux se figent pour laisser se dérouler un récit qui se mord la queue. La relation instable entre la cheffe d’entreprise et son stagiaire finit par engendrer un véritable creux qui semble sans fin. Des séquences qui se contredisent les unes aux autres pour finalement revenir continuellement à leur point de départ, nous obligeant à assister à certaines scènes qui tendent vers le ridicule et le risible. Des moments dont on se serait bien passé, surtout s’ils viennent briser cette quête de réalisme que la réalisatrice a tenté de mettre en œuvre. Il faut patienter jusqu’aux trente dernières minutes avant que les enjeux ne sortent de leur hibernation. Une dernière partie qui permet à certains personnages secondaires, comme celui d’Antonio Banderas ou bien encore celui de Sophie Wilde, de se réveiller. Malheureusement, c’est bien trop tard.Malgré des rôles qui auraient pu être significatifs pour le développement du film, leurs interventions tardives empêchent de vraiment croire en leurs actions.

Une dernière demi-heure qui semble avoir amorcé la marche rapide, bazardant trop rapidement des enjeux pourtant cruciaux, comme si la réalisatrice voulait passer rapidement sur certaines confrontations qui sont pourtant de cette réalité qu’elle cherchait si ardemment. Une finalité un peu niaise qui s’avère être bien trop facile pour être pleinement crédible, ce qui contraste avec les intentions de base.

EN DEUX MOTS

Babygirl possède de bonnes idées scénaristiques et techniques pour redéfinir les représentations féminines. Cependant, le film dépasse rapidement ses limites pour se retrouver coincé dans un récit qui tourne en boucle, sans jamais parvenir à trouver une issue favorable et cohérente. Il devient ennuyeux, niais et parfois même un peu comique.

3

Note : 3 sur 5.


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