CRITIQUE | FILM

REINE MERE : mon père, ma mère et Charles Martel

Critique | Pour son deuxième film, la réalisatrice franco-tunisienne Manele Labidi raconte l'histoire quasi-universelle de l'immigration de première génération. Reine Mère est un conte onirique et intrépide, qui ramène souvent à la réalité. La surprise du mois au cinéma.

SYNOPSIS

Amel est une femme au foyer qui s’occupe parfaitement de sa petite famille récemment arrivée en France : son mari Amor et leurs deux filles, qui fréquentent une école privée catholique. Cependant, leur vie prend un tournant lorsque la famille doit quitter leur appartement à Paris, le propriétaire souhaitant récupérer son bien.

© Reine Mere

Au même moment, leur fille aînée, Mouna, croit apercevoir Charles Martel dans un couloir après un cours d’histoire et fait de ce fantôme son ami imaginaire. Reine mère est un film franco-belge écrit et réalisé par Manele Labidi. Dans ce long-métrage prévu pour 2025, Manele Labidi s’inspire de ses souvenirs d’une famille immigrée, mêlant comédie sociale et touche de fantaisie fantastique.

NOTRE CRITIQUE

Sorti discrètement le 12 mars 2025, Reine Mère a pourtant tout pour figurer parmi les meilleurs films de l’année. En tout cas, dans le paysage cinématographique français, car ce nouveau long-métrage de Manele Labidi nous plonge dans une histoire de mariage entre la France et la Tunisie.

On y croise à la fois Charles Martel et une famille franco-tunisienne de première génération, un symbole plein de fantaisie pour parfaitement représenter cette union interculturelle. C’est avec ce postulat de départ ingénieux que Manele Labidi réussit son pari. En ajoutant une petite part d’elle et de son histoire personnelle, et en mêlant le naturalisme du quotidien à la fantaisie d’une apparition de personnage historique, la cinéaste parvient à se détacher de l’étiquette du film social français à la structure très « scolaire ». Reine Mère est d’une créativité surprenante par cet exercice, et décomplexe aussi son sujet, malgré la gravité qui s’en dégage à plusieurs moments clé. Le film trouve un juste équilibre entre humour et émotion, pile au milieu du très drôle et du profondément touchant. Manele Labidi est tellement engagée dans cette démarche créative qu’elle se permet tout, y compris une scène de danse délicieusement absurde entre la mère de famille et Charles Martel. Au delà de la thématique de l’intégration, ce long-métrage est également un film sur l’orgueil, celui qui a pu mettre des bâtons dans les roues de la première génération d’immigrés, mais qui a aussi permis de préserver, pour les générations suivantes, la fierté des origines. Un contraste qui fait encore écho aujourd’hui, dans un monde où l’on voudrait tout uniformiser.

© Reine Mere

Parce que Reine Mère n’oublie pas de traiter toutes ses thématiques importantes, celles qui ont d’ailleurs façonné l’identité de la plupart des immigrés de première, deuxième ou troisième génération en France. Avec par exemple comme cheval de bataille : l’accès au logement. Un sujet qui, à lui tout seul, rassemble énormément des problématiques liées, de près ou de loin, au racisme. Car s’il y a bien un domaine où l’on vous rejette sans complexe à cause d’un nom de famille, c’est encore et toujours dans la demande de logement. Mais Manele Labidi apporte aussi une réflexion sur l’intégration, en particulier durant ces années 90′, où chacun devait vivre quotidiennement avec le poids des regards. Une sorte de malédiction qui se transmet même aux enfants. Et dans les faits, c’est comme si traverser une frontière revenait automatiquement à perdre un statut social. Ainsi, la fille d’agriculteur bien pourvu devient, aux yeux des français, une « immigrée arabe ». Reine Mère décortique alors son sujet et exprime toute la difficulté de l’intégration, qui parfois est freiné par le pays d’accueil. Il nous interroge avec un malin plaisir et à travers les yeux de son personnage principal : Mouna. Elle perçoit une France presque onirique, incarnée par Charles Martel, et, à travers cette métaphore bien trouvée, cherche à réconcilier les « deux peuples ». Mais cela s’exprime aussi à travers la relation tumultueuse de ce couple si touchant. L’un prêt à un peu trop sacrifices, l’autre à l’opposé, incapable d’en faire pendant un moment.

Et Reine Mère conclut de la plus belle des manières, avec poésie, sans tamponner la situation d’un happy ending ou d’une vérité toute faite. Il laisse le spectateur rêver d’un avenir meilleur, même si, trente ans plus tard, ces sujets restent tristement d’actualité.

EN DEUX MOTS

Un joli conte décalé et touchant, qui casse les codes du film social comme on l’entend. Il y a de la fraîcheur et de la spontanéité partout, incarnées à l’écran par un duo d’acteurs surprenant. De l’électrique à la douceur, Reine Mère explore ses thématiques sans diluer la gravité de son propos.

4

Note : 4 sur 5.


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