CRITIQUE | FILM

UNE BATAILLE APRES L’AUTRE : l’art du chaos maîtrisé

Critique | Chaque nouvelle sortie d'un film réalisé par Paul Thomas Anderson est toujours considérée comme une bonne nouvelle, gage de qualité. Une Bataille Après L'Autre ne fait pas exception à la règle. Un film aussi colossal que son budget.

SYNOPSIS

Lorsque leur ennemi juré, le colonel Steven J. Lockjaw, réapparaît après seize ans d’absence, un groupe d’anciens révolutionnaires se retrouve pour venir en aide à Willa, la fille de l’un d’entre eux. Une bataille après l’autre (One Battle After Another) est un film américain réalisé et écrit par Paul Thomas Anderson, sorti en 2025. Il s’agit d’une adaptation libre du roman Vineland de Thomas Pynchon. Ce film marque le dixième long métrage du réalisateur et réunit à l’écran Leonardo DiCaprio, Benicio del Toro, Regina Hall, Sean Penn, Teyana Taylor et Chase Infiniti.

© Une Bataille Après L’Autre

NOTRE CRITIQUE

Une Bataille Après L’Autre se déploie comme une immense chasse à l’homme, menée avec une rigueur quasi chirurgicale, mais sans jamais perdre cette clarté qui le rend lisible et haletant du premier au dernier plan.

Paul Thomas Anderson (PTA) réussit le tour de force d’orchestrer un spectacle de 2h42 où chaque plan respire l’intensité, où s’enchaînent les ruptures, les changements de rythme et les styles de mise en scène. On a vraiment le sentiment que chaque arrêt sur image pourrait devenir une affiche culte, tellement tout est pensé, cadré, composé avec une rigueur incroyable. C’est fluide, organique, toujours vivant. La richesse de la mise en scène est vertigineuse. Le cinéaste convoque ses propres obsessions, mais s’offre aussi un terrain de jeu où il dialogue avec ses pairs. Par exemple, la façon dont la ville est transformée en un organisme vivant, menaçant et magnifique à la manière de Michael Mann. Ou encore ces plans de bataille qui rappellent les visions hallucinées de Coppola. L’humour, lui, jaillit de situations dignes de la précision des frères Coen, créant des respirations qui ne brisent pas la tension, mais la redéfinissent. Le tout tient dans un équilibre improbable : à la fois classique dans ses grands travellings et ses steadicams hypnotiques, mais aussi totalement libre et imprévisible dans ses ruptures de style. C’est comme si on assistait à un condensé du cinéma de PTA, mais remixé, où il intègre toutes les traditions hollywoodiennes pour en faire un grand film patchwork qui conserve une cohérence implacable. Impossible de ne pas évoquer la séquence d’évasion, incroyable de maîtrise, dirigée par un Benicio del Toro flegmatique jusqu’à l’insolence, qui incarne à elle seule toute la fluidité du film. Paul Thomas Anderson déploie tout son art du chaos maîtrisé.

© Une Bataille Après L’Autre

Ses cadrages sont d’une rigueur implacable. Chaque composition est pensée dans le moindre détail. Chaque silence pèse, chaque geste est millimétré, chaque plan semble avoir été calculé pour nous couper le souffle. Et derrière cette mécanique, on lit aussi les failles, les obsessions et les contradictions des personnages. Des personnages qui restent fidèles à l’obsession de PTA pour les marginaux et les figures complexes. Des personnages dévorés par leur ambition, happés par une quête de pouvoir et de transcendance. Le casting, d’ailleurs, est tout simplement monstrueux. Benicio del Toro insuffle, par sa nonchalance, un grain de folie qui déstabilise et fascine. Sean Penn, colossal, incarne un personnage disjoncté dont chaque apparition électrise l’écran. Et évidemment, Leonardo DiCaprio, qui semble se réinventer encore une fois, oscillant entre vulnérabilité et démesure, offrant une interprétation d’une intensité rare. Nous pensions Jeff Bridges indétrônable, et pourtant, il se pourrait bien que le personnage de Bob Ferguson devienne le Lebowski de la nouvelle génération. Et puis il y a la musique. Jonny Greenwood signe une partition à la fois minimaliste et viscérale, jouant des dissonances pour renforcer l’étrangeté ambiante. La musique ne s’impose jamais. Elle infiltre, elle tend, et avec le mixage sonore immersif, elle nous fait pénétrer dans la subjectivité des personnages.

© Une Bataille Après L’Autre

Mais réduire le film à un pur exercice de style serait passer à côté de ce qu’il raconte. Une bataille Après L’Autre se révèle surtout comme une œuvre politique. Paul Thomas Anderson y dépeint une Amérique malade, où le fascisme progresse à découvert, où le militantisme est discrédité, où la violence idéologique écrase toute nuance. Dans cette fresque quasi-apocalyptique, les batailles se succèdent sans répit, sans vérité stable. Le film traduit cette impression d’un temps cyclique, d’un éternel retour où chaque génération doit livrer les mêmes combats, héritant des traumatismes de ses prédécesseurs. Il le fait avec un humour tranchant, parfois absurde, qui souligne encore plus la décadence du moment. C’est un constat amer, mais pas désespéré. Au milieu de cette agitation, PTA affiche un certain optimisme, une lueur : celle de la famille, de la transmission, de la possibilité de trouver un sens dans le lien. C’est ce qui rend Une Bataille Après L’Autre si monumental : réussir à combiner la virtuosité avec une réflexion profonde sur la vulnérabilité et le besoin d’appartenance. Tout se répond, tout s’entremêle. Les mouvements de caméra fluides expriment l’énergie d’un monde qui vacille, les ruptures de ton traduisent les contradictions d’une époque, la musique dissonante épouse la fracture des personnages, l’humour acéré souligne l’absurdité du chaos politique. C’est un film qui déborde de tout, qui refuse de choisir et qui finit par dresser le portrait d’une époque, aussi terrifiant que galvanisant.

EN DEUX MOTS

À travers cette chasse à l’homme parfaitement rythmée, Paul Thomas Anderson dresse le portrait d’une époque malade. Sa fluidité dans l’alternance entre les ruptures de ton et les styles de mise en scène nous offre un spectacle captivant du début à la fin.

4,5

Note : 4.5 sur 5.


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